Le Maroc a connu son heure de gloire quand j'étais encore môme. A la maison, notre mère brésilienne avait amené ce vent d'exotisme et d'impudeur qui excitait autant qu'il révulsait nos voisins proches et lointains. Elle avait épousé mon père de la façon la plus digne au monde oriental, dans le faste et dans une pudeur toute arabe, elle avait imposé son style aux femmes autour d'elles et fait rayonner sa chaleur étrangère sur les têtes des gamines qui voyaient en elle une alternative à un destin trop morne. Ma mère. Mon père avait le sérieux, la culture et le sens du devoir armé d'un goût esthétique peu commun, ma mère possédait la grâce naturelle et la beauté arrogante, celle qui vous intercepte et vous tourne le dos. Sa trousse à maquillage a été notre plus beau trésor, autant que notre boite de Pandore. J'ai le souvenirs d'après-midi entiers passés à se maquiller, moi dessinant des arabesques au crayon noir sur les paupières de ma soeur, et, plus grandes, reproduisant à l'identique sur mes modèles puis sur moi-même les plus grands make-ups présentés dans Vogue.


j'ai l'impression que ça fait une éternité.


encore aujourd'hui, je me le demande.


c'est simplement une passion, j'aime la mode et la mode m'aime.


disons que je suis obligée de refuser des contrats pour pouvoir avoir un peu de temps pour moi...


pile à l'heure, comme toujours.


ils font leur boulot, je fais le mien, et tout le monde est content.


c'est ma vocation, j'adore mon travail.


Aucune journée ne se ressemble dans ma vie. Je tiens à recevoir un texto un mail me présentant dans les grandes lignes le projet au minimum douze heures avant de débuter le travail. J'exige le nom du photographe pour adapter mon make-up à son style, et le thème du shooting, la marque en question. Peu importe le nom du model : sur ce point, j'improvise à l'envie. J'entre en studios et j'installe mes produits. Je fais venir le mannequin, le photographe et le coiffeur et nous discutons du shooting et des grands axes. Je commence toujours par un maquillage naturel, que je fais évoluer au fur et à mesure de la journée en un make-up plus poussé. Je démaquille, j'hydrate, je ponce et je dégraisse et dégomme, j'hydrate de nouveau et je resserre les pores, je lisse à la poudre et je commence ma base. En artiste-peintre, je compose sur mon modèle un tableau qui résistera aux flashs incessants d'un appareil et à la chaleur entêtante d'un studio. Lorsque je ne maquille pas, je passe une grande partie de mon temps dans les boutiques pour me fournir en maquillage et étudier les nouveaux produits sur le marché. Je teste de nouveaux mélanges. Actuellement, je tente de déposer du verni sur les paupières.


Je suis la fille la mieux maquillée de Paris. D'autres questions ?


Lol.


Sachez faire ce que vous faites. Tout le reste, parade, apparence, prix de votre tenue, est inutile. On se fiche de votre beauté, correspondez à votre métier. Si vous êtes maquilleur, sachez maquiller. Soyez le maquillage. Faites en sorte que lorsqu'on vous regarde, on se doute que vous êtes maquilleur ou que vous avez été maquillé par un pro. Possédez un style, une griffe, une patte. Maîtrisez la peinture sur corps autant qu'un dessinateur maîtrise le crayon sur feuille. Foutez-vous du reste, à commencer par l'univers dans lequel vous évoluez et qui tentera de vous lier à lui pour vous avaler. Restez concentré. N'ayez pas trop d'amis dans votre profession. Pas trop d'ennemis. Soyez discrets et laissez la talent, les éloges des autres parler pour vous. Restez en arrière tout en vous assurant qu'on vous remarque dans le décor. Une dernière chose : rien ne fonctionne par talent, par don divin. Tout est le produit de votre travail et de votre inspiration, votre caractère. Ne vous prenez pas pour un artiste : soyez-en un.


Je ne me projette pas, le jour le jour me prend suffisamment de temps. Je ne sais pas où je serai ni ce que je ferai dans dix, quinze ans. Peut-être serai-je mariée avec deux enfants et femme au foyer. Maquilleuse à domicile pour la bourgeoisie parisienne. Peut-être aurai-je ouvert mon propre make-up bar. Peut-être continuerai-je à faire la même chose qu'aujourd'hui... J'ai confiance en moi, alors à moins d'un drame, je serai ce que je suis.